Jean-Claude Sensemat, une Rolls Royce pour célébrer son 50e anniversaire d’entrepreneur



Vous fêtez vos 50 ans de carrière d’entrepreneur alors que beaucoup pensent à la retraite, ça n’a pas l’air d'être votre choix ?

En effet, la vie m’a contraint à travailler jeune, quand mon père a choisi de quitter ce monde.
Je me suis retrouvé à 19 ans, seul avec ma mère qui n’avait jamais travaillé.
J’ai donc continué l’activité d’artisan électromécanicien dans la petite boutique de mon père où j’avais appris les rudiments du métier.
Cette liberté d’entreprendre, dans mon malheur, m’est apparue subitement.

Quelle est la recette pour devenir en quelques années le premier entrepreneur de votre département natal le Gers et dont la renommée est devenue rapidement nationale ?

Pour moi tout apparaissait limpide, il fallait se remuer, dans le monde agricole dans lequel j’étais il fallait que les agriculteurs s’équipent.
J’ai donc fait le choix de leur fournir de l’outillage à des prix abordables.
Poussé par mon caractère gascon plein d’audace et d’énergie, en 1975 j’ai pris l’avion pour l’Inde, la Chine, Taiwan, j’ai compris la mondialisation des échanges vingt ans avant les autres.
Mon sens du marketing m’a amené à créer des produits, des compositions, des marques qui ont hissé mes activités vers le succès.
Mes sociétés ont gagné beaucoup d’argent, j’ai embauché des centaines de salariés, et ma ville natale, mon département et ma région en ont profité au niveau des taxes et impôts.

En 1990, vous sortez les célèbres Montres LIP de l’ornière ? Racontez-nous :

Ce fut une belle histoire. Cette marque était dans le cœur de tous les Français, mais les ouvriers autogestionnaires qui s’étaient emparés de ce fleuron de l’horlogerie n’ont pas tenu le coup et la marque se retrouva au tribunal de commerce de Besançon.
Je me suis porté acquéreur et je remportais finalement les enchères à la barre du tribunal de Besançon.
Une nouvelle aventure s’ouvrait à moi, une telle marque m’apporta la célébrité.
Je me suis tourné vers Fred Lip, le dernier de la famille Lipmann qui avait fondé la manufacture en 1867, c’est sous son égide que les montres à quartz virent le jour ce qui permit à une grande partie de l’humanité de porter une montre au poignet.
Les conseils de Fred Lip furent précieux. J’avais avec cet homme une relation filiale.
J’ai réédité les montres cultes comme la montre du général de Gaulle que j’ai offert à Bill Clinton lors de l’anniversaire du débarquement des alliés en Normandie, mais aussi bon nombre d’autres modèles historiques que nous avions dans nos cartons, dont l’emblématique montre de Roger Tallon.
Quelques années avant mon départ pour le Canada, j’ai confié la licence de la marque à un ancien commercial d’une de mes sociétés, tout en gardant le contrôle pour veiller au respect de l’éthique de la marque.
J’ai donc mis le pied à l’étrier à ce futur horloger en lui louant la marque.
C’est à la fin du bail en 2016, compte tenu de mon éloignement géographique, que je mis en vente la marque.
Ce fut pour moi le point final de la saga Lip.

Comment êtes-vous devenu le premier Consul Honoraire de la République d’Albanie en France ?

Ma carrière ne s’est pas arrêtée dans le département du Gers. 
Après avoir été pionnier en Asie, je me suis rendu dans les pays communistes de l’Europe de l’Est des plus fermés, Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie, Allemagne de l’Est, etc., et même l’Albanie, pays des plus hermétiques.
J’étais un rare Français à pouvoir me rendre à Tirana, mon objectif était professionnel pour mes sociétés d’import-export d’outillage.
J’étais un témoin de l’histoire à tel point que j’étais invité par le gouvernement français lors de ses déplacements officiels en Albanie.
J’ai conduit diverses délégations, même Pierre Cardin voulait découvrir le pays, je l’ai accompagné avec une délégation rencontrer Sali Berisha dans le palais présidentiel.
Que de souvenirs qui appartiennent désormais à l’histoire !
Bref, il y eut un moment où les Albanais avaient besoin de s’ouvrir au monde après la chute du communisme.
Il leur fallait un consul honoraire qui ne soit pas Albanais, mais qui ait assez d’entregent pour être accepté par le Président de la République Française, car il voulait entre autres, rentrer à l’OTAN et dans la communauté européenne.
Quand j’ai su cela, je me suis tourné vers mes connaissances dans le pays.
J’ai invité à déjeuner chez Maxim’s, rue royale à Paris, le ministre des Affaires étrangères d’Albanie et son ambassadeur en poste en France.
À la fin de ce repas, le ministre m’assura que son gouvernement voterait pour moi.
Il restait la partie française, le quai d’Orsay a accepté ma candidature et le Président Chirac signa mon exequatur.
Durant mon activité diplomatique élargie, j’ai participé à des rencontres officielles avec le roi d'Espagne, la reine d'Angleterre et le président d'Israël.
En 2004, j’ai accompagné, lors d’une visite officielle à l'UNESCO, le Général Alfred Moisiu, alors Président de la République d'Albanie.
Il y a aussi eu cette mission en 2005 pour laquelle j’ai convaincu Pierre Cardin d’offrir une brillante réception chez Maxim’s, car le Premier ministre d'Albanie, Fatos Nano était reçu avec son ministre des affaires étrangères par Jacques Chirac à l’Élysée.
J’ai organisé de nombreuses manifestations et rencontres interministérielles au profit de ma mission consulaire, afin de faire mieux connaître l’Albanie.
Quand j’ai annoncé mon départ au Canada à mes chers amis Albanais, Besnik Mustafaj ministre des Affaires étrangères m’a dit spontanément : « je vais te nommer Consul au Québec », mais c’était sans compter les intrigues politiques.
Le ministre après un désaccord avec Sali Berisha, alors devenu Premier ministre, démissionna le 24 avril 2007, et de ce fait ma nomination consulaire au Québec tomba à l’eau.
Ce passage dans la vie diplomatique m’apporta beaucoup de satisfactions.

Mais pourquoi émigrer au Canada ?

Lors de la première partie de ma carrière, ma réussite fut rapide, spectaculaire et brillante. Malgré les emplois que je créais et les résultats financiers que je générais dans mes affaires, j’attisais malheureusement la jalousie que l’on retrouve trop souvent en France surtout dans les départements ruraux.
Homme de pouvoir, j’ai sûrement tiré trop de ficelles et reçu trop d’honneurs aux yeux de certains : l'Ordre National du Mérite à 38 ans et la Légion d'Honneur à 45 ans.
Qui peut soutenir un électron libre qui a l’argent, le pouvoir et les honneurs ?
Seuls mes collaborateurs payés par moi m’entouraient, mais étaient trop souvent aptes à me trahir pour certains.
Mon énergie, ma volonté d’entreprendre me faisaient apparaître comme un patron invincible, mais c’était sans compter sur l’hostilité de quelques personnalités, des groupes de personnes envieuses et des réseaux tapis dans l’ombre.
Ils ont finalement monté une cabale et ont eu raison de moi, ce que je raconte dans un de mes ouvrages « Le Délit d’Entreprendre ».
J’ai perdu ma compagnie d’import-export d’outillage, mais le complot échoua en partie, car j’ai réussi à faire emprisonner un administrateur judiciaire en collaborant avec les policiers de la brigade financière de Toulouse.
J’ai réussi à garder ma fortune financière, immobilière et la compagnie de montres Lip que j’ai vendue il y a peu, seulement en 2016.
Mes fiscalistes et avocats me conseillèrent de m’exiler, car ma situation fiscale devenait trop pesante pour un homme aussi fortuné et décrié dans ma région.
Compte tenu de ces événements, je choisis le Québec, car le Canada offrait de très bonnes conditions aux gens d’affaires investisseur comme moi, malgré mes 55 ans.
Ma femme et mon fils étaient très heureux de s’exiler en Amérique du Nord et de marquer une vraie cassure.
Alors je dois vous dire qu’émigrer n’est pas si facile.
Sachez que riche ou pauvre l’émigré pleure, car il est seul, mais le temps fait son œuvre et la recette est de faire de l’entrisme dans des clubs, associations et cercles en tout genre.
Puis il y a les papiers, souvent un chemin de croix, enfin ma famille et moi sommes tous naturalisés canadiens et très fiers de l’être.

On dit que vous réussissez dans votre pays d’accueil, le Canada ?

Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas arrivé au Québec les mains vides.
J’ai observé que Montréal était en plein essor il y avait déjà un nombre de chantiers significatifs, j’ai senti cet élan. J’ai donc investi dans l’immobilier de luxe en hyper centre et le développement de Montréal a fait le reste.
Concernant la finance, j’ai constitué une fiducie dont la valeur est significative, après quelques années j’ai trouvé l’institution et le courtier dont la philosophie me correspondait.
J’ai beaucoup appris sur les produits, les places sur lesquelles nous traitons.
En fait, lorsque je suis arrivé en Amérique du Nord, j’ai appris ce qu’était la bourse nord-américaine.
C’est un métier qui demande de la connaissance approfondie sur les entreprises, la géopolitique, l’observation, le flair, l’intuition, l’intelligence.
Nous nous sommes entourés des meilleurs spécialistes qui ont ces qualités et qui traitent principalement sur les marchés de Wall Street et le Toronto Stock-Exchange.
Nous avons également investi dans un centre d’affaires de luxe où nous sommes actionnaires et y avons acheté plusieurs bureaux.
Au fil du temps, nous avons sélectionné des conseils de qualité avec lesquels nous partageons la même philosophie.
Nous avons donc développé nos actifs, libérés des ondes négatives que nous avons tant ressenties quand je développais mes affaires dans mon département natal.
En fait, ma famille et moi nous avons atteint le rêve américain.

Une Rolls Royce pour ses 50 ans de carrière d’entrepreneur, ce n’est pas banal ?

Quand j’étais gamin alors que je remontais la Croisette à Cannes, il y avait des Rolls Royce et mes copains disaient qu’ils avaient envie de rayer leur carrosserie, pour ma part j’étais fasciné, j’aurais aimé connaître l’histoire des propriétaires pour pouvoir en arriver là.
Ma réussite rapide m'a permis d’avoir de belles voitures : trois Porches 911S dont la première à 25 ans, six berlines Jaguar, une berline BMW 745 et une limousine Mercedes 600.
Quand j’ai démarré dans la vie active et que j’ai dû être émancipé pour fonder ma première compagnie, je disais à mes copains que je ne finirais pas ma carrière sans rouler en Rolls Royce.
Après une vie aussi tumultueuse faite de hauts et de bas, sachez qu’il y a des bas qui vous propulsent encore plus haut.
Décidément, rien n’arrête le talent !


Propos recueillis par :
Mélanie Saint-Jean pour le Français Magazine