Vous fêtez vos 50 ans de carrière d’entrepreneur alors que beaucoup pensent à la retraite, ça n’a pas l’air d'être votre choix ?
En
effet, la vie m’a contraint à travailler jeune, quand mon père a choisi de
quitter ce monde.
Je
me suis retrouvé à 19 ans, seul avec ma mère qui n’avait jamais travaillé.
J’ai
donc continué l’activité d’artisan électromécanicien dans la petite boutique de
mon père où j’avais appris les rudiments du métier.
Cette
liberté d’entreprendre, dans mon malheur, m’est apparue subitement.
Quelle
est la recette pour devenir en quelques années le premier entrepreneur de votre
département natal le Gers et dont la renommée est devenue rapidement nationale
?
Pour
moi tout apparaissait limpide, il fallait se remuer, dans le monde agricole
dans lequel j’étais il fallait que les agriculteurs s’équipent.
J’ai
donc fait le choix de leur fournir de l’outillage à des prix abordables.
Poussé
par mon caractère gascon plein d’audace et d’énergie, en 1975 j’ai pris l’avion
pour l’Inde, la Chine, Taiwan, j’ai compris la mondialisation des échanges
vingt ans avant les autres.
Mon
sens du marketing m’a amené à créer des produits, des compositions, des marques
qui ont hissé mes activités vers le succès.
Mes
sociétés ont gagné beaucoup d’argent, j’ai embauché des centaines de salariés,
et ma ville natale, mon département et ma région en ont profité au niveau des
taxes et impôts.
En
1990, vous sortez les célèbres Montres LIP de l’ornière ? Racontez-nous :
Ce
fut une belle histoire. Cette marque était dans le cœur de tous les Français,
mais les ouvriers autogestionnaires qui s’étaient emparés de ce fleuron de
l’horlogerie n’ont pas tenu le coup et la marque se retrouva au tribunal de
commerce de Besançon.
Je
me suis porté acquéreur et je remportais finalement les enchères à la barre du
tribunal de Besançon.
Une
nouvelle aventure s’ouvrait à moi, une telle marque m’apporta la célébrité.
Je
me suis tourné vers Fred Lip, le dernier de la famille Lipmann qui avait fondé
la manufacture en 1867, c’est sous son égide que les montres à quartz virent le
jour ce qui permit à une grande partie de l’humanité de porter une montre au
poignet.
Les
conseils de Fred Lip furent précieux. J’avais avec cet homme une relation
filiale.
J’ai
réédité les montres cultes comme la montre du général de Gaulle que j’ai offert
à Bill Clinton lors de l’anniversaire du débarquement des alliés en Normandie,
mais aussi bon nombre d’autres modèles historiques que nous avions dans nos
cartons, dont l’emblématique montre de Roger Tallon.
Quelques
années avant mon départ pour le Canada, j’ai confié la licence de la marque à
un ancien commercial d’une de mes sociétés, tout en gardant le contrôle pour
veiller au respect de l’éthique de la marque.
J’ai
donc mis le pied à l’étrier à ce futur horloger en lui louant la marque.
C’est
à la fin du bail en 2016, compte tenu de mon éloignement géographique, que je
mis en vente la marque.
Ce
fut pour moi le point final de la saga Lip.
Comment
êtes-vous devenu le premier Consul Honoraire de la République d’Albanie en
France ?
Ma
carrière ne s’est pas arrêtée dans le département du Gers.
Après
avoir été pionnier en Asie, je me suis rendu dans les pays communistes de
l’Europe de l’Est des plus fermés, Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie, Allemagne
de l’Est, etc., et même l’Albanie, pays des plus hermétiques.
J’étais
un rare Français à pouvoir me rendre à Tirana, mon objectif était professionnel
pour mes sociétés d’import-export d’outillage.
J’étais
un témoin de l’histoire à tel point que j’étais invité par le gouvernement
français lors de ses déplacements officiels en Albanie.
J’ai
conduit diverses délégations, même Pierre Cardin voulait découvrir le pays, je
l’ai accompagné avec une délégation rencontrer Sali Berisha dans le palais
présidentiel.
Que
de souvenirs qui appartiennent désormais à l’histoire !
Bref,
il y eut un moment où les Albanais avaient besoin de s’ouvrir au monde après la
chute du communisme.
Il
leur fallait un consul honoraire qui ne soit pas Albanais, mais qui ait assez
d’entregent pour être accepté par le Président de la République Française, car
il voulait entre autres, rentrer à l’OTAN et dans la communauté européenne.
Quand
j’ai su cela, je me suis tourné vers mes connaissances dans le pays.
J’ai
invité à déjeuner chez Maxim’s, rue royale à Paris, le ministre des Affaires
étrangères d’Albanie et son ambassadeur en poste en France.
À
la fin de ce repas, le ministre m’assura que son gouvernement voterait pour
moi.
Il
restait la partie française, le quai d’Orsay a accepté ma candidature et le
Président Chirac signa mon exequatur.
Durant
mon activité diplomatique élargie, j’ai participé à des rencontres officielles
avec le roi d'Espagne, la reine d'Angleterre et le président d'Israël.
En
2004, j’ai accompagné, lors d’une visite officielle à l'UNESCO, le Général
Alfred Moisiu, alors Président de la République d'Albanie.
Il
y a aussi eu cette mission en 2005 pour laquelle j’ai convaincu Pierre Cardin
d’offrir une brillante réception chez Maxim’s, car le Premier ministre
d'Albanie, Fatos Nano était reçu avec son ministre des affaires étrangères par
Jacques Chirac à l’Élysée.
J’ai
organisé de nombreuses manifestations et rencontres interministérielles au
profit de ma mission consulaire, afin de faire mieux connaître l’Albanie.
Quand
j’ai annoncé mon départ au Canada à mes chers amis Albanais, Besnik Mustafaj
ministre des Affaires étrangères m’a dit spontanément : « je vais te nommer
Consul au Québec », mais c’était sans compter les intrigues politiques.
Le
ministre après un désaccord avec Sali Berisha, alors devenu Premier ministre,
démissionna le 24 avril 2007, et de ce fait ma nomination consulaire au Québec
tomba à l’eau.
Ce
passage dans la vie diplomatique m’apporta beaucoup de satisfactions.
Mais
pourquoi émigrer au Canada ?
Lors
de la première partie de ma carrière, ma réussite fut rapide, spectaculaire et
brillante. Malgré les emplois que je créais et les résultats financiers que je
générais dans mes affaires, j’attisais malheureusement la jalousie que l’on
retrouve trop souvent en France surtout dans les départements ruraux.
Homme
de pouvoir, j’ai sûrement tiré trop de ficelles et reçu trop d’honneurs aux
yeux de certains : l'Ordre National du Mérite à 38 ans et la Légion d'Honneur à
45 ans.
Qui
peut soutenir un électron libre qui a l’argent, le pouvoir et les honneurs ?
Seuls
mes collaborateurs payés par moi m’entouraient, mais étaient trop souvent aptes
à me trahir pour certains.
Mon
énergie, ma volonté d’entreprendre me faisaient apparaître comme un patron
invincible, mais c’était sans compter sur l’hostilité de quelques
personnalités, des groupes de personnes envieuses et des réseaux tapis dans
l’ombre.
Ils
ont finalement monté une cabale et ont eu raison de moi, ce que je raconte dans
un de mes ouvrages « Le Délit d’Entreprendre ».
J’ai
perdu ma compagnie d’import-export d’outillage, mais le complot échoua en
partie, car j’ai réussi à faire emprisonner un administrateur judiciaire en
collaborant avec les policiers de la brigade financière de Toulouse.
J’ai
réussi à garder ma fortune financière, immobilière et la compagnie de montres
Lip que j’ai vendue il y a peu, seulement en 2016.
Mes
fiscalistes et avocats me conseillèrent de m’exiler, car ma situation fiscale
devenait trop pesante pour un homme aussi fortuné et décrié dans ma région.
Compte
tenu de ces événements, je choisis le Québec, car le Canada offrait de très
bonnes conditions aux gens d’affaires investisseur comme moi, malgré mes 55
ans.
Ma
femme et mon fils étaient très heureux de s’exiler en Amérique du Nord et de
marquer une vraie cassure.
Alors
je dois vous dire qu’émigrer n’est pas si facile.
Sachez
que riche ou pauvre l’émigré pleure, car il est seul, mais le temps fait son
œuvre et la recette est de faire de l’entrisme dans des clubs, associations et
cercles en tout genre.
Puis
il y a les papiers, souvent un chemin de croix, enfin ma famille et moi sommes
tous naturalisés canadiens et très fiers de l’être.
On
dit que vous réussissez dans votre pays d’accueil, le Canada ?
Comme
je l’ai déjà dit, je ne suis pas arrivé au Québec les mains vides.
J’ai
observé que Montréal était en plein essor il y avait déjà un nombre de
chantiers significatifs, j’ai senti cet élan. J’ai donc investi dans
l’immobilier de luxe en hyper centre et le développement de Montréal a fait le
reste.
Concernant
la finance, j’ai constitué une fiducie dont la valeur est significative, après
quelques années j’ai trouvé l’institution et le courtier dont la philosophie me
correspondait.
J’ai
beaucoup appris sur les produits, les places sur lesquelles nous traitons.
En
fait, lorsque je suis arrivé en Amérique du Nord, j’ai appris ce qu’était la
bourse nord-américaine.
C’est
un métier qui demande de la connaissance approfondie sur les entreprises, la
géopolitique, l’observation, le flair, l’intuition, l’intelligence.
Nous
nous sommes entourés des meilleurs spécialistes qui ont ces qualités et qui
traitent principalement sur les marchés de Wall Street et le Toronto
Stock-Exchange.
Nous
avons également investi dans un centre d’affaires de luxe où nous sommes
actionnaires et y avons acheté plusieurs bureaux.
Au
fil du temps, nous avons sélectionné des conseils de qualité avec lesquels nous
partageons la même philosophie.
Nous
avons donc développé nos actifs, libérés des ondes négatives que nous avons
tant ressenties quand je développais mes affaires dans mon département natal.
En
fait, ma famille et moi nous avons atteint le rêve américain.
Une
Rolls Royce pour ses 50 ans de carrière d’entrepreneur, ce n’est pas banal ?
Quand
j’étais gamin alors que je remontais la Croisette à Cannes, il y avait des
Rolls Royce et mes copains disaient qu’ils avaient envie de rayer leur
carrosserie, pour ma part j’étais fasciné, j’aurais aimé connaître l’histoire
des propriétaires pour pouvoir en arriver là.
Ma
réussite rapide m'a permis d’avoir de belles voitures : trois Porches 911S dont
la première à 25 ans, six berlines Jaguar, une berline BMW 745 et une limousine
Mercedes 600.
Quand
j’ai démarré dans la vie active et que j’ai dû être émancipé pour fonder ma
première compagnie, je disais à mes copains que je ne finirais pas ma carrière
sans rouler en Rolls Royce.
Après
une vie aussi tumultueuse faite de hauts et de bas, sachez qu’il y a des bas
qui vous propulsent encore plus haut.
Décidément,
rien n’arrête le talent !
Propos
recueillis par :
Mélanie
Saint-Jean pour
le Français Magazine